Le lavoir (pour Denis B. et Julie O.)

Elsa et Pierre. Vous n’avez ni lave-linge ni séchoir à domicile. Vous ne vous connaissez pas, mais vous faites votre lessive au même endroit, rue Saint-Amant, le dimanche après-midi. Chacun remplit une machine à laver, le même programme économique. Quatre vingt minutes. Cela permet de faire un tas de choses, comme d’observer les gens qui surveillent leur lessive.



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Elsa, plongée dans un livre de Virginia Woolf. Pierre feuilletant un magazine. Elsa et Pierre. Pendant que les machines tournent, vous vous étudiez sans détourner la tête : vos yeux sont munis d’élastiques, ils roulent à leur extrémité, sans bouger un poil de votre corps, pour pouvoir vous épier l’un l’autre, discrètement. Vous n’êtes pas concentrés sur votre lecture, on le voit bien.

Le programme de lavage est terminé. Vous sortez chacun vos affaires du tambour et les regroupez dans un panier. Logiquement, vous devriez maintenant sécher vos vêtements. Mais il n’y a qu’une seule machine disponible pour deux. Alors, face au seul séchoir libre de la rangée, vous vous toisez, vos yeux s’illuminent, quand tout à coup, c’est vous, Elsa, qui vous mouillez : Je n’ai pas grand-chose, vous voulez partager le séchoir avec moi ? Vous acceptez, Pierre, quoi que cette proposition vous semble osée. Le tambour démarre.

Voix off d’Elsa :
Mes petites culottes voltigent avec les caleçons d’un joli garçon. C’est un signe. Une histoire de linge, ça peut devenir une histoire d’amour ?
Voix off de Pierre :
J’ai toujours pensé que le tambour d’un séchoir, c’est mieux qu’une télévision.

Le séchage dure vingt minutes, pendant lesquelles vous restez calmes et silencieux, emportés par le mouvement du tambour et la danse du linge, sur un rythme régulier, comme si le spectacle de vos vêtements entremêlés et virevoltant vous plongeait dans un film en train d’être tourné, une fuite au galop, en duo sur la même monture, un voyage vers le futur. Votre futur, peut-être ? Quand la calendre s’immobilise, qui de vous deux va se lever pour l’ouvrir ? Qui va proposer de trier le linge mélangé ? C’est vous, Pierre, qui dites : Laissez, je vais le faire. Vous séparez vos vêtements et les siens, et vous vous délectez lorsque vos doigts effleurent les sous-vêtements d’Elsa. Quand la tâche est accomplie, en offrant son panier à Elsa, vous osez même un : Dimanche prochain, même heure ?

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